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Victoria Afanasyeva

Marguerite de Witt-Schlumberger

Née Marguerite Pauline Ernestine de Witt le 20 janvier 1853 à Paris, décédée le 23 octobre 1924 au Val-Richer (Calvados).


Philanthrope et l’une des grandes figures du féminisme de la première vague, Marguerite de Witt-Schlumberger présente un parcours antialcoolique semblable à celui d'Adrienne Avril de Sainte-Croix ou encore de Julie Siegfried (son portrait sera bientôt présenté dans ce blog). Avec son mari Paul Schlumberger, industriel alsacien, Marguerite commence par souscrire 100 fr. à l’Union Française Antialcoolique en 1897 puis en 1903 ; les époux deviennent membres bienfaiteurs de l’association.

Présidente de l’Union française pour le suffrage des femmes, Marguerite de Witt-Schlumberger adhère en 1916 à l’Union des Françaises contre l’alcool, devenant sa présidente d’honneur, et à L’Alarme, où elle entre dans le comité de direction. Entre-temps, elle participe aux ventes et aux manifestations publiques de la Ligue Nationale contre l’alcoolisme (LNCA) dont elle est membre titulaire. Cependant, lors de l’assemblée générale en décembre 1916, la féministe critique l’organisation de la LNCA qu'elle juge insuffisamment efficace pour l'emploi de toutes "l[es] bonne[s] volonté[s]".

Portrait de Marguerite de Witt-Schlumberger. L.M. Monod, 1920. Bibliothèque Marguerite Durand (icono 32/ https://bibliotheques-specialisees.paris.fr/ark:/73873/pf0000862324.locale=fr).

Pendant la guerre Marguerite de Witt-Schlumberger est l’une des promotrices les plus actives des Foyers du soldat qui se multiplient dès 1915 tant au front qu'à l'arrière afin d'offrir aux mobilisés des lieux de sociabilité avec des "boissons saines et réconfortantes" et concurrencer les débitants de boissons traditionnels. Après s'être renseignée sur les premières œuvres inaugurées à Rouen et au Havre, Marguerite de Witt réunit à Lisieux "un comité de dames de la ville susceptibles de récolter des fonds et de contribuer au fonctionnement du cercle" et trouve un local gratuit au Patronage Jeanne d'Arc (Coste, 2014, p. 479). Dans un journal local la femme lance un appel aux dons et précise que les consommations au foyer seront toutes "bonnes et saines" à 10 centimes : chocolat, sirop, thé, café (sans alcool) (id., p. 480). En ajoutant à sa carte du cidre ("pas plus d'un demi-litre par tête", communique-t-elle à La Française), le foyer ouvre en octobre 1915 ; en six mois il aurait accueilli 40000 soldats (Coste, p. 480).

Le journal hebdomadaire féministe La Française, qui soutient l'œuvre des Foyers du soldat dès le début et salue la création de chaque nouveau local, admire la méthode de Marguerite de Witt-Schlumberger et l'invite à Paris en janvier 1916 à donner une conférence sur les principes de la gestion de ces établissements. Dans sa communication l'oratrice partage son expérience personnelle de Lisieux et incite son public à créer d'autres Foyers. Or, plusieurs femmes – car ce sont elles qui initient l'ouverture de Foyers –, ne pouvant pas se déplacer à Paris pour la conférence, réclament à La Française et à l'oratrice des renseignements et même la reproduction du discours. Ainsi deux semaines après l'événement l'hebdomadaire publie-t-il une partie de la communication : en donnant des informations pratiques pour la fondation de nouveaux lieux (il y est question du local, de la décoration, du mobilier, du personnel, du règlement intérieur...) Marguerite de Witt-Schlumberger ne touche pas "à la question de la lutte contre l'alcoolisme" et présente la liste d'une soixantaine d'établissements déjà en activité. Peu après, le Conseil National des Femmes Françaises reprend ces informations sous forme de brochure Comment on crée un Foyer du soldat.


En avril 1917 Marguerite de Witt-Schlumberger écrit une lettre ouverte aux députés et sénateurs à qui elle demande de prohiber les alcools distillés et les apéritifs ("alcool"). Revendicative et catégorique, la féministe accuse le gouvernement de lâcheté et traite ses membres de criminels :

On peut être criminel en usant de sa puissance pour déchaîner une guerre, mais on peut aussi être criminel en n'osant pas se servir de sa puissance pour déclarer la guerre à l'ennemi du dedans. Ceux qui détiennent le pouvoir à eux conféré par la Nation pour la bien diriger sont criminels, si, par lâcheté – je le répète solennellement, par lâcheté – ils ne prennent pas contre le mal intérieur les mesures nécessaires que nous réclamons : suppression de l'alcool de bouche et utilisation de l'alcool et des fruits pour d'autres usages.

Cet appel de Marguerite de Witt-Schlumberger, comme toutes les autres sollicitations des antialcoolistes et féministes en matière de "l'alcool de bouche" pendant la Grande Guerre, reste lettre morte.

Après le décès de la militante, la Ligue Nationale contre l'Alcoolisme et d'autres associations lui rendent hommage dans les pages de leurs bulletins : "Elle est surtout connue pour sa campagne féministe, mais elle ne séparait pas, dans sa pensée, le triomphe de cette cause avec celui de l’antialcoolisme. Elle pensait et disait souvent que le premier résultat de l’électorat réservé aux femmes serait une victoire législative éclatante pour l’antialcoolisme."

 

Couverture de la brochure "Comment on crée un Foyer du soldat" (conférence de Marguerite de Witt-Schlumberger), éditée par le CNFF en 1916. Centre des Archives du Féminisme, 1AF/284.

Références :

COSTE Catherine, « Marguerite de Witt-Schlumberger : une femme au service des victimes de guerre », Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français, vol. 160,‎ janvier-mars 2014, p. 473-489.

MACHIELS Christine, « Witt-Schlumberger Marguerite de », dans Christine Bard, Sylvie Chaperon (dir.), Dictionnaire des féministes. France XVIIIe-XXIe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2017, p. 1562-1564.

POUJOL Geneviève, « Marguerite de Witt-Schlumberger (1855-1924) », Un féminisme sous tutelle, Paris, Les Éditions de Paris, 2003, p. 265-266.

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